« L’étreinte poétique comme l’étreinte de chair 

Tant qu’elle dure

Défend toute échappée sur la misère du monde » (A. Breton)

Pourquoi dis, pourquoi m’as tu pris mes yeux est une pièce qui nous offre un intense moment de théâtre en nous contant la rencontre d’un homme et d’une femme, mais surtout la rencontre de deux âmes… Fort en émotion, d’une intensité qui confère au sublime, Florence Perrier et François Rabette prêtent leurs voix, leur sensibilité et leur talent à ces deux âmes consumées par l’amour. L’écrivain André Breton, figure emblématique du surréalisme, a rencontré et aimé Léona Delcourt dite Nadja. Grâce à un minutieux travail de montage de textes, cette pièce combine les textes de l’écrivain et les lettres de Nadja. À découvrir sans plus attendre au Théâtre La Croisée des Chemins.

Le récit poignant de la rencontre de deux âmes…

Si nous parlions d’amour ? Lui, c’est André Breton. Elle, c’est Nadja. Comme le livre du même nom. Et la femme du livre, dans la vie, s’appelait Léona Delcourt. D’une rencontre, de quelques jours, est né l’un des plus beaux livres du surréalisme. Alors qu’André Breton en fait un récit quasi clinique, Nadja, elle, en donne un visage éminemment charnel. Elle découvre l’amour et y plonge totalement, jusqu’à s’y perdre et, peut-être, précipiter sa fin.

Ce sublime récit à deux voix de cette rencontre nous renvoie à ce qu’il y a de plus profond en nous, à savoir le désir de plonger notre âme dans celle de l’Autre. Si André Breton paraît avoir une vision presque clinique de cette rencontre dont il fait une appréciation distanciée, c’est sans doute parce qu’il a déjà à l’esprit la volonté de se servir de ce matériau émotionnel, d’en faire le récit. Nadja quant à elle se consume pour cet homme qu’elle nomme souvent « mon feu », qui lui inspire admiration et désir. Tantôt enfantine, tantôt séductrice, Nadja nous émeut, nous séduit, et nous attriste lorsque celle-ci affiche sa détresse après avoir été finalement repoussée par l’écrivain. « C’est froid quand je suis seule. J’ai peur de moi-même… André. Je t’aime. Pourquoi dis, pourquoi m’as-tu pris mes yeux. » Celle-ci connaîtra d’ailleurs un destin d’une grande tristesse. N’hésitez pas à lire l’article de ma complice Nathalie, Le petit monde de Natieak, qui vous dévoile le destin tragique de ce personnage féminin si attachant.

L’on dit souvent que l’on reconnaît une femme amoureuse à son sourire et un homme amoureux, à l’expression de son regard face à l’être aimé. La complicité entre les deux comédiens est telle qu’ils incarnent leurs personnages à la perfection, ils sont André Breton et Nadja. Florence Perrier prête la finesse de ses traits à Nadja, il est impossible de ne pas être séduit par le sourire de la comédienne qui ressemble tantôt au sourire malicieux d’une petite fille, tantôt à celui d’une femme éperdument éprise. François Rabette offre quant à lui une interprétation tout en justesse de l’écrivain, parfois froid, mais aussi empli de désir, un homme en proie au doute. Un homme tantôt enorgueilli de la fascination qu’il exerce sur Nadja, tantôt coupable de cette emprise consentie. Il est aussi intéressant de comprendre la différence de temporalité que ressente les personnages, ainsi si l’écrivain prend naturellement une certaine distanciation par rapport à ce qu’il ressent, Nadja, elle, est dans le présent de la rencontre, s’abandonnant corps et âme à cet amour confondant et mystérieux…

crédits photos: Nadia Rabhi

Le montage des textes élaboré par Florence Perrier permet d’avoir une vision globale de cette rencontre, d’un point de vue féminin, et également masculin. La beauté des textes et la finesse du montage, alliées à l’intensité de l’interprétation des comédiens font de cette pièce un sublime moment de théâtre. Ne manquez pas ce petit bijou, les mercredis et jeudis à 19h45, jusqu’au 7 mars prochain, au Théâtre La Croisée des Chemins. La pièce dure 1h. 

Dessin de Nadja

Théâtre La Croisée des Chemins

43 rue Mathurin Régnier

75015 Paris

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