À travers le texte de Rapport pour une Académie, Kafka nous amène à nous interroger sur l’ambiguïté de la représentation qui conditionne une certaine vision de l’Autre. Grâce à une mise en scène sobre et intelligente, Khadija El Mahdi permet au spectateur de saisir la subtilité du texte. Quant à Mahmoud Ktari, sa prestation lumineuse et subtile en émotion, parvient à rendre ce texte accessible au plus grand nombre. Un grand moment de théâtre, qui de plus, a une portée pédagogique importante. À découvrir absolument au Théâtre La Croisée des Chemins.
Une immersion dans l’antichambre de la fabrique des boucs émissaires
Un artiste sort de scène sous les vivats de la foule. Il court dans sa loge et se retrouve interpellé par un inattendu comité. « Comment avez-vous fait pour passer, en si peu de temps, de l’état de singe à celui d’être humain ? Nous avons besoin de votre témoignage pour établir un rapport… » D’abord abasourdi par la question, l’artiste retrousse ses manches et se jouant de tous les artifices de la scène, va tenter de conter sa métamorphose depuis sa capture par le Cirque Hagenbeck.
L’échange a lieu dans les loges d’un cirque. L’artiste répond « Sauf votre respect, … votre singitude, mesdames et messieurs, à supposer que vous en ayez eu quelque expérience, ne peut pas être plus éloignée de vous, qu’elle l’est de moi » . L’artiste répond qu’imiter les humains était pour lui la seule issue possible, ne parlant pas de liberté, et c’est important, seulement d’une issue.
Rapport pour une Académie amène à s’interroger sur l’ambiguïté de la représentation qui conditionne une certaine vision de l’Autre. Ce texte conduit également à s’interroger sur le regard hâtif du spectateur qui s’abandonne à la manipulation de l’émotion et des artifices du spectacle. Dans cette antichambre de la fabrique des boucs émissaires, viennent à nous les réminiscences des vieux cirques, la parade des monstres, le clown Chocolat de son vrai nom Rafael Padilla, ou encore de la tristement célèbre Vénus hottentote, Saartjie Baartman de son vrai nom Sawtche. Ce texte de Kafka est l’illustration parfaite et nauséabonde de la violence exercée par l’homme blanc auto-proclamé supérieur à toute autre forme d’existence.
Bouleversant d’intelligence, ce texte offre aussi une autre lecture, ainsi peut-on se poser la question de savoir qui est le singe de l’autre? Ainsi, « le singe » comprenant les vils desseins de ses soit-disants supérieurs possède une intelligence supérieure à celle de ses geôliers. Dès lors, il apparaît de manière plus générale, que face à la violence, et à la domination exercée par l’autre, l’on peut tous être, à différents niveaux bien entendu, le singe de quelqu’un.
La dureté du texte alliée à la douceur et à la luminosité naturelles qui émanent de Mahmoud Ktari, confère au personnage une émotion tout en justesse et sobriété. Grâce à la mise en scène fine et sensible de Khadija El Mahdi, qui, par l’ajout de la vidéo à un moment de ce vibrant seul en scène permet au spectacle d’avoir une dimension pédagogique. Ainsi les images d’archives du clown Chocolat ou encore des zoos humains agissent comme un devoir de mémoire.
Des artistes talentueux et attachants
Mahmoud Ktari – (interprète) Formé à l’Atelier Théâtre du Quartier Latin (2007-2011, Paris, sous la direction de Ahouva Lion et Claude Coulon) puis au Théâtre du Voyageur (2011-2012, Asnières sur Seine, sous la direction de Chantal Mélior), Mahmoud Ktari a fait ses premiers pas sur scène en 2008. D’abord en tant que simple passionné puis en tant que comédien confirmé en intégrant, en 2012, simultanément la Compagnie Icare de Naples et la Compagnie La Rieuse. Il a, à son actif, une douzaine de rôles sur scène dont les principaux dont Sganarelle dans Dom Juan de Molière (mes Patrick Rouzaud), Robert dans Trahisons de Harold Pinter (mes Patrick Rouzaud), Mosca dans Volpone ou le renard de Ben Jonson (mes Valérie Delamare), Richard Rich dans Thomas More ou l’homme seul de Robert Bolt (mes Patrick de Mareuil). En 2016, il co-fonde, avec Vincent Freulon, le Théâtre La Croisée des Chemins à Paris, qu’il dirige depuis. Il est à la fois président, administrateur, programmateur et directeur artistique du lieu. Aujourd’hui, il est à l’affiche des spectacles Le Défunt de René de Obaldia (mise en scène de Patrick Rouzaud) et Rapport pour une Académie de Kafka (mise en scène de Khadija El Mahdi), tous deux produits par S&P PRODUCTIONS.
Khadija El Mahdi – (metteure en scène) Après une licence en études théâtrales à Paris X et une formation au conservatoire du VIIeme arrondissement, elle est reçue à l’Ecole Supérieure d’Art Dramatique de la Ville de Paris puis à la Classe Libre de l’école Florent. Elle se spécialise dans le jeu masqué en assistant pendant 5 ans Christophe Patty, maître de masque au Conservatoire National d’Art Dramatique. Elle apprend le jeu masqué et le clown avec entre autres Mariana Araoz. Comédienne, elle joue entre autres dans Les Démons de Dostoïevski, Au delà du voile de Benaïssa, Pièces de guerre de Bond, Médée d’Euripide, La grande faim dans les arbres de Jean-Pierre Cannet, La rose de la Boca de El Mahdi, Rituels pour des signes et des métamorphoses et Le livre de Damas de Wannous, Pazzi de la Cie Interface et Mama Khan, le chant de la terre Lakota, P’tit Molière du meilleur seul en scène 2017. Lors des radiophonies 2009, elle a reçu le prix d’interprétation féminine pour son interprétation de Houria dans Sangs mêlés de Laurent Leclerc.
Elle a mis en scène La surprise de l’amour de Marivaux, Fragments d’un discours amoureux de Barthes, La maison de Bernarda Alba de Lorca Cancans de lavandières, création collective, La beauté de l’icône de Fatima Gallaire, Le joueur de flûte de Hamelin des Frères Grimm, Electre de Sophocle et Mama Khan, le chant de la terre Lakota. En 2018, elle met en scène Sang Négrier de Laurent Gaudé, spectacle pour lequel elle reçoit le P’tit Molière de la meilleure mise en scène 2018. Elle est l’auteur de La rose de la Boca, encouragée par le Ministère de la Culture. Elle sculpte et modèle des masques pour comédiens et danseurs. Elle développe actuellement un projet de création maillant masque, conte, chant et mémoire : les treize chemins de grand-mère terre. Mama Khan, le chant berbère de l’eau (que je vais découvrir ce soir) en est le second opus. Onze autres créations sont à venir…
Sans oublier Vincent Freulon qui a traduit et adapté le texte de Kafka, Joëlle Loucif qui a conçu les costumes, et Stefano Perocco di Meduna qui a signé la décor et la scénographie.
Ne manquez pas ce grand moment de théâtre durant lequel la présence lumineuse, douce et déterminée de Mahmoud Ktari éclaire ce texte sombre. Tous les samedis à 19h30 au Théâtre La Croisée des Chemins, le spectacle dure 1h.
crédits photos: Théâtre La Croisée des Chemins
Théâtre La Croisée des Chemins
43 rue Mathurin Régnier
75015 Paris
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Le petit monde de NatieAK
2 février 2019Coucou
On sent que cela doit être une pièce très puissante et forte en émotions !
Bises
Princesse Acidulée
5 février 2019Une merveille! Et Mahmoud est plus bluffant que jamais! Mille bises ma douce <3
Forty Beauty
4 février 2019Coucou !
Je ne connais pas ce texte de Kafka et tu m’as donné envie de le découvrir.
Bisous
Princesse Acidulée
5 février 2019C’est un texte dur évidemment, l’univers de Kafka étant assez sombre, mais d’une intelligence si pertinente. Brillant. Mille bises ma beauté.
Serena
4 février 2019Hello ma belle,
Effectivement ça a l’air intéressant à découvrir 🙂
Plein de bisous !
Princesse Acidulée
5 février 2019À couper le souffle! Mille bises ma jolie.